Demain La Santé réorganiser la protection sociale
docteur, j’ai mal à ma secu !
Depuis quelques années, manifestations des professionnels et mise en garde des pouvoirs publics viennent épisodiquement nous rappeler que notre système de soins est en crise. Petit à petit, le voile se lève sur l’étendue des dégâts : mercantilisation généralisée, apparition d’une médecine des pauvres et d’une médecine pour riches, effondrement financier de la Sécurité Sociale. La recherche des boucs émissaires va bon train, la culpabilisation des professions de santé rimant avec le gaspillage des gestionnaires, l’insouciance des consommateurs avec l’irresponsabilité des médias. Seul, le rejet des jeunes professionnels sous prétexte de démographie galopante fait l’unanimité.
Il n'est pas de gazette qui n'ait sa rubrique Sécu, dans laquelle chacun apporte sa contribution. Tous s'évertuent à prendre à témoin l'assujetti, le malade et le professionnel. Il faut être au parfum pour saisir toutes les nuances de la langue de bois. C'est ainsi qu'il y a un abîme entre ceux qui évoquent le contrôle des dépenses de santé et ceux qui prônent la limitation des dépenses de l'assurance maladie. La différence est bien simple : elle se trouve dans la poche du consommateur.
Pour être plus précis, les dépenses de la Sécu font partie des sacro-saints prélèvements obligatoires, qu'il est parait-il si urgent de réduire. Le complément, non remboursé par l'assurance maladie, et qui dans notre pays approche 30% du total et 3000 F par habitant et par an, est pour une part payé directement par le consommateur, pour une autre par les mutuelles et assurances privées.
Bien sur, on peut dire que la cotisation assurance maladie, qu'il s'agisse de la part patronale ou de celle de l'assuré, n'est qu'un salaire différé. Il existe deux nuances importantes : la cotisation est obligatoire, s'applique à tous et joue par là un rôle de santé publique indiscutable (pour autant que l'on soit dans une société de plein emploi, ce qui était le cas à l'origine, et que l'ensemble des catégories sociales soient assujetties) en assurant à l'ensemble de la population une couverture santé égale, quel que soit le revenu. C'est la notion de solidarité.
La deuxième nuance est que le revenu fiscal est calculé après les prélèvements sociaux, alors que les cotisations des mutuelles ne sont pas déductibles. Pour employer le jargon économiste, la différence entre dépenses de l'assurance-maladie et dépenses de santé est financée sur le revenu fiscal des ménages. Dans d'autres pays, les assurances santé sont entièrement privées, la base de l'impôt sur le revenu s'applique donc sur une somme initiale plus élevée. A coût salarial, revenu disponible, dépenses de santé et impôt égal, les contribuables ont à la fois l'impression de gagner plus d'argent et de payer moins d'impôt (cf tableau).
tableau : analyse du revenu d'un ménage de 4 personnes selon le type de dépenses de santé.
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100% libéral |
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France |
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100% socialisé |
revenu total |
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120 000 F |
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120 000 F |
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120 000 F |
santé total |
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40 000 F |
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40 000 F |
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40 000 F |
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assurance maladie |
0% |
0 F |
73% |
29 200 F |
100% |
40 000 F |
revenu imposable |
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120 000 F |
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90 800 F |
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80 000 F |
impot |
17% |
20 000 F |
22% |
20 000 F |
25% |
20 000 F |
part personnelle |
100% |
40 000 F |
27% |
10 800 F |
0% |
0 F |
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disponible |
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60 000 F |
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60 000 F |
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60 000 F |
Dans la première catégorie, on retrouve avec quelques nuances les pays sous-développés et les USA, dans la troisième la plupart des membres de la CEE.
Il n'est ni de notre propos, ni de notre compétence médicale de nous prononcer sur les implications idéologiques et macro-économiques de telles considérations.
Recherche fondamentale et appliquée, enseignement initial et continu, action sanitaire et activité de soins devraient former un tout cohérent, animé d'une dynamique globale et d'objectifs communs. Cela n'est possible que s’il existe une rétroaction, permettant, après évaluation des résultats du fonctionnement, de rechercher l'amélioration du système. Il faut donc que l'information sur qui fait quoi, comment et avec quels résultats parvienne à ceux qui ont pour charge d'organiser les différents éléments du système, et que la motivation de ces décideurs soit clairement l'accomplissement d'objectifs de santé publique.
La dichotomie complète entre la sécu, qui finance le système et est la seule à savoir ce qui se fait, et les organismes d'administration, d'enseignement et de recherche est incompatible avec un fonctionnement sain du système de soin.
Son argument : c'est nous qui payons. Soit, mais regardons ce qu'est la sécu :
Elle est administrée selon le principe de la gestion paritaire CNPF-Syndicats : 50% pour le patronat, 50% pour les syndicats. En fait, dès que des options stratégiques majeures sont en jeu, 100% pour le CNPF, qui trouvera toujours un allié pour faire passer ses orientations stratégiques.
Il faut commencer par se demander quel est la justification de la présence du patronat dans cette instance. Les cotisations qu’il verse ne sont qu’un salaire différé, et appartiennent donc aux salariés. Par ailleurs, sa position est ambiguë, puisque la santé (550 MM F / an) est le premier marché français, et un marché en forte croissance. Son intérêt est la croissance de ce marché. Il n’est d'ailleurs pas indifférent que presque tous les représentants du CNPF au conseil d’administration de la sécu soient directement impliqués dans l’industrie bio-médicale. Mais les cotisations sociales pèsent sur la compétitivité des entreprises. L'intérêt du CNPF et, on le constate depuis longtemps, la politique de la sécu, c'est d’augmenter le coût de la santé et de limiter celui de l’assurance maladie. Voila des beaux jours pour les mutuelles et les assurances privées! Et c’est bien ce à quoi nous assistons.
Les syndicats représentent théoriquement les payeurs, et éventuellement une certaine partie des consommateurs seulement; n'oublions pas les retraités, les exclus, etc... Mais surtout, ils sont depuis toujours partagés entre les intérêts de leurs mandants et leur casquette syndicale, notamment vis à vis des employés des caisses de sécu et des salariés de la santé. Leur fonction de représentation des cotisants risque, lorsque des difficultés plus grandes surviendront ou si l’idéologie qui les anime évolue, de leur faire oublier le devoir de solidarité.
Ainsi, la sécurité sociale vient enfin de mettre en place un vrai système informatisé généralisé (SESAME), qui lui permet de mettre en relation l’immense gisement de données qu’elle recueille. Lors de l’inauguration de ce système, l’un des responsables du système n’avouait-il pas que la mise en place aurait pu avoir lieu 20 ans plus tôt?
Il faut se rendre compte que le ministère de la santé est tout petit, et celui des affaires sociale pas beaucoup plus grand, au regard des sommes manipulées (rappelons que les affaires sociales s'occupent d’un budget équivalent à celui de l'état, et que la santé à elle seule pèse 2 fois l'éducation. De plus, il ne sait rien : c'est la sécu qui rembourse, elle est donc la seule à pouvoir savoir en permanence qui fait quoi, et à qui. On a vu qu'en fait, la sécu s'est organisée pour ne rien savoir, et ce n'est pas un hasard. En plus, ce qu'elle sait, elle se garde bien de le faire savoir. Comment organiser dans ces conditions?
Des conventions, ont été négociées avec les cliniques, les laboratoires d'analyse, les firmes pharmaceutiques. Bravo! ont dit les bons esprits. Et bien non ! Ces conventions gèlent la situation dans une situation des plus favorables pour les cliniques, les laboratoires, les industriels. Comment, par exemple, les fabricants auraient-ils pu refuser de conserver une consommation de médicament qui est la plus forte du monde? Cela signifie tout simplement que les marges de manœuvres qu'il aurait été possible de débloquer pour améliorer la couverture sociale, pour couvrir les trous de notre système, sont confisquées par ceux qui ont tout fait pour le déséquilibrer et empêcher sa régulation.
De même, le “budget global” dont on parle tant fige la situation. Il comporte également quelques dispositions très douteuses dont on voit bien la provenance : citons la responsabilisation des assurés sociaux (c'est à dire augmenter la part non prise en charge par la sécu) et l'autonomie des caisses, ce qui officialise la médecine à deux vitesses, selon qu'on sera pris en charge par une caisse riche ou pauvre. Enfin, la nuance entre contrôle des dépenses de santé ou dépenses d'assurance maladie n'est pas nette. Non, il ne faut pas maîtriser les dépenses en maintenant le taux de remboursement à son niveau actuel. Il faut diminuer les dépenses, pour pouvoir assurer les exclus et rembourser mieux. Assurer une politique de santé avec moins de 10 000 F par an par habitant, c'est possible, on le sait, les autres pays le prouvent. Et 10% d'économie sur 550 MM F, on peut le susurrer à Bérégovoy, ça fait 55 MM F, ça mérite quelques investissements, et c'est possible.
Une étroite collaboration entre financement, remboursement, gestion est indispensable. Cette évidence a conduit à proposer un certain nombre de superstructures de coordination ministère-sécu. Les bricolages qui sont actuellement en préparation ne sont pas à la hauteur. On peut très facilement, avec un peu de mauvaise volonté, rendre tout cela très bureaucratique et très inefficace, et c'est l'intêret de trop de monde. Tant que le principe de base n'est pas sain, il y aura des blocages. Il n'est pas raisonnable de demander aux experts du ministère, de la sécu et des organismes professionnels de nous concocter une telle réforme. C'est pourquoi nous pensons que seuls des Etats Généraux de la Santé et de la Protection Sociale, impulsés au plus haut niveau par le pouvoir politique, peuvent nous éviter une dérive grave de notre système de santé.
Dès lors, la première proposition de Demain La Santé sera de fiscaliser l’assurance maladie, de joindre ses services à ceux du ministère et de faire gérer l’administration des soins par des représentants de l'état, des usagers et des professionnels.
le 4 Décembre 1991