En décidant de la diminution du nombre d’étudiants en médecine, le gouvernement a fait sienne l’idée fausse, bien que répandue, selon laquelle il y aurait trop de médecins. Prise dans le cadre de la maîtrise des dépenses de Santé, cette décision fait apparaitre la soi-disant “pléthore médicale” comme une des causes du dérapage de ces dépenses. Forts des conclusions de notre troisième colloque (L’avenir des jeunes médecins : vraies/fausses vérités de la démographie médicale. 24/11/90) et des déclarations récentes de nombreux partenaires (comme le Dr Olivier Dubois, Conseiller National de l’Ordre des médecins chargé des problèmes de démographie médicale), nous pensons pouvoir affirmer que cette mesure est d’une efficacité pour le moins contestable, si ce n’est dangereuse dans ses conséquences.
Il faut 8 à 14 ans pour former un médecin, et l'installation n'est pas immédiate. Les médecins en début d’installation ont une faible clientèle, et ne sont pas ceux qui coûtent le plus cher. Les effet d’économie de la diminution du numerus clausus ne devraient donc pas apparaître avant l’an 2005.
En fait, la plus grande partie du cout de la santé est indépendante du nombre de médecins. Elle est représentée par les charges liées à l’hospitalisation (plus de 50% du budget de la SS en tenant compte des honoraires médicaux de l'hospitalisation privée) et (pourcentage inconnu) dû aux actes techniques. Par ailleurs, la diminution du flux d’entrée de 500 par an pour une population estimée en 2005 à 200 000 médecins aura au mieux des effets négligeable sur les dépenses totales.
Une bonne partie des dépenses liées aux prescriptions médicales est liées aux exigences médicalement infondées des patients. De nombreux groupes de pressions savent organiser la demande d’examens ou de traitements par le biais des médias. Le besoin d’une couverture abusivement qualifiée de “médico-légale”, pour protéger le médecin en cas d’accident ou d’erreur hélas toujours possibles, est également une motivation importante de surconsommation. C’est, en définitive, l’ensemble de la collectivité qui en patit.
- la diminution du nombre des étudiants devrait entraîner la fermeture d’un certain nombre de facultés de médecine; certaines vont arriver à moins de 50 étudiants par an; lesquelles seront concernées?
Il existe d’importantes disparités régionales dans la démographie médicale, et on sait que les médecins s’installent en grande majorité près de leur faculté d’origine. Il aurait été intéressant de profiter de la diminution du numerus clausus pour rééquilibrer la démographie médicale, mais les experts du Ministère ont sans doute voulu éviter de heurter des intérêts régionaux puissants, ce qui montre les limites de leur réelle volonté d’intervention.
- former 3500 médecins par an, alors qu’il n’est toujours pas question de diminuer le nombre de spécialistes en formation (2500 actuellement), va aboutir à un rapport spécialistes / généralistes étonnant, alors même que notre taux de spécialistes est le plus élevé d'Europe et que ce sont eux qui coûtent le plus cher...
La rémunération des médecins libéraux se fait uniquement à l’acte, ce qui entraine, notamment dans une ambiance de concurrence acharnée, multiplication des actes et dépendance des médecins vis à vis des demandes les moins fondées de leurs patients. La baisse tendancielle des revenus de certaines catégories, les difficultés prolongées de la phase d’installation, rendent les médecins en début d’installation plus sensibles aux sollicitations les plus variées; ces mauvaises habitudes sont ensuite difficiles à perdre. Il ne faut cependant pas exagérer cette tendance, et la "chasse au client" a toujours conduit certains médecins à des pratiques contestables. Depuis toujours, il y avait le docteur pour les arrêts maladie de complaisance et celui pour les "vraies" maladies.
Comme le soulignait Philippe Lazar dans son rapport d’étape, les mécanismes de circulation permettent de contourner le numerus clausus avec la plus grande facilité. Il est cependant évident que n’importe qui ne peux pas se payer des études à l’étranger, ce qui introduit un facteur d’inégalité supplémentaire dans la profession.
Le vieillissement de la population va aboutir à une augmentation des besoins de prise en charge, nécessitant plus d'intelligence médicale et moins de technicité..
Les hôpitaux payent actuellement la politique d’économie budgétaire à court terme qui a entrainé, il y a une dizaine d’années, la fermeture ou la réduction d’effectifs de nombreuses écoles d’infirmières. Il semble que les gestionnaires de la Santé soient prêts à recommencer les mêmes erreurs.
Les effets de ces coups d'accordéon sur le fonctionnement de l'enseignement de la médecine ne peuvent qu'être nuisibles en terme de qualité; les enseignants sans étudiants vont se démotiver, trouver d'autres centres d'intérêt, et ne seront plus disponibles quand il faudra à nouveau former 7 à 8000 médecins par an, sans parler de la dégradation des lieux d'enseignement, de la désorganisation des lieux de stage. L'absence d'internes va nécessiter le recrutement de médecins hospitaliers; que faire des internes quand ils reviendront?
Les mesures envisagées aboutissent à une pyramide des âges de la profession médicale complètement déséquilibrée. Les médecins formés récemment sont ceux qui sont, en moyenne, les plus aptes à s'adapter aux nécessités de la médecine moderne : travail d'équipe, évaluation permanente, renouvellement des connaissance (le savoir médical se périme actuellement en 5 ans...). Ce sont justement ceux-là que l'on veut reconvertir. Si l'on suivait les recommandations de la CNAM, on aboutirait à ce que, en 2028, 34% des médecins praticiens auraient de 60 à 80 ans...
On en arrive à se demander pourquoi avoir pris une décision peu, voire pas du tout efficace, et qui comporte un certain nombre de dangers. Nos dirigeants ne sont probablement pas des imbéciles; ces critiques ne sont ni nouvelles ni originales. Mais pour faire passer leur projet immédiat, qui est la mise en place d'un certain nombre de mécanismes de régulation, il leur a paru indispensable d'acheter les syndicats médicaux à coups de mesures démagogiques. L'assurance d'une baisse de la concurrence pour les praticiens en place leur a semblé pouvoir emporter la décision, quitte à rectifier le tir par la suite. Mais à quel prix? C'est faire bon marché de l'avenir du système de soin.
En fait, s’intègre dans une politique globale de diminution du nombre des médecins (reconversion, retraite anticipée).
Il faut d'abord remarquer que personne ne prétend qu'il y a trop de médecin pour soigner correctement nos concitoyens. Pour simplifier la discussion, nous ne parlerons que de la médecine générale, puisqu'il semble que c'est avant tout là que le problème réside. Il faut cependant remarquer que, par rapport à nos voisin européens, le nombre de nos généralistes est plutôt faible, alors que nous avons beaucoup plus de spécialistes, et que ceux-ci coûtent beaucoup plus cher. Les arguments s'organisent autour de 2 thèmes :
Le nombre total d'actes actuellement réalisables est trop faible, tant qu'ils seront facturés à 90 F, pour permettre d'assurer un revenu convenable à tous les médecins installés. Il s'ensuit plusieurs problèmes. Les difficultés d'installations sont accrues pour ceux qui ne rachètent pas un cabinet; le temps nécessaire pour arriver à un revenu en plateau est supérieur à ce qu'il était il y a 10 ans. Si le niveau de ce plateau est en moyenne égal, voire supérieur à ce qu'il était il y a 10 ans, cela cache deux phénomènes : le maintien de ce revenu nécessite pour certains des pratiques plus ou moins condamnables (de la reconvocation abusive à l'achat de prescription par les fabricants de médicaments et au compérage avec les spécialistes et para-médicaux, en passant par le stakhanovisme forcené, qui empêche toute formation continue); on observe d'autre part, et notamment pour ceux qui refusent ce mode de fonctionnement, une extrême disparité des revenus. L'aboutissement de cette situation est la paupérisation d'une frange notable de médecins et la dégradation de la qualité, de l'éthique et bientôt de l'image des autres. Le problème est donc ici moins le nombre de médecins que le taux de la consultation : 90 F, est-ce vraiment sérieux?
Le deuxième problème est économique. La maîtrise des dépenses de santé est devenu une nécessité absolue, sauf à vouloir remettre en cause la solidarité. La consultation chez le généraliste coûte 500 F (90 F pour le médecin, 410 F de prescriptions diverses). Dans ce cadre, il est apparu simple de limiter le nombre de prescripteurs, en espérant voir diminuer le nombre de prescriptions. On ne peut que souligner le caractère incertain et primaire de ce raisonnement. Incertain, car les médecins qui consultent et prescrivent beaucoup sont surtout ceux qui sont installés depuis longtemps. Il sera difficile de les reconvertir, et empêcher l'installation des jeunes ne modifiera pas sensiblement le volume des prescriptions. Primaire, car plutôt que de laisser persister cette habitude de débauche techno-chimique, il vaudrait mieux commencer par se demander à quoi servent vraiment les 410 F qui ne vont pas dans la poche du médecin. Mais peut-être touche-t-on là au cœur du problème... Ces 410 F intéressent trop de monde.
Pourtant, investir dans l'intelligence semble à la mode. Dans tous les domaines, on se plaint de manquer de main d'œuvre qualifiée, de formations supérieure. Et on s'apprête à rejeter des dizaines de milliers de diplômés de l'enseignement supérieur, dans une activité (la santé) dont chacun sait qu'elle est en pleine expansion, et de façon durable.
L'affectation des médecins à des taches de santé se fait non pas suivant des critères d'utilité, mais en fonction de l'existence d'un marché solvable. Il est d'ailleurs instructif de constater que la renommée des médecins suit ce fil conducteur. C'est ainsi que l'instauration de la sécurité sociale, en solvabilisant la grande majorité de la demande individuelle de soins curatifs immédiats, a promus ceux-ci au dépend du reste de la santé publique. C'est ainsi que de nombreux domaines majeurs sont laissés à découverts. Il est de bon ton d'évoquer la médecine préventive et le dépistage. C'est pourquoi nous préférons indiquer ce qu'on peut attendre d'une réelle prise en charge de l'épidémiologie et de la médecine scolaire.
En ce qui concerne la médecine scolaire, il ne s'agit pas de se contenter d'une simple visite annuelle, style revue d'incorporation. D'un coté, il est de plus en plus évident que les réflexes acquis dès le plus jeune âge conditionnent le comportement "santé". La "citoyenneté de la santé" nécessite un apprentissage précoce pour inculquer les notions de prévention, apprendre à aborder sereinement les dysfonctionnements physique et psychiques, vaincre le culte du médicament ou du guérisseur. D'un autre coté, il faut envisager de focaliser les efforts de dépistage et de surveillance sanitaire sur les groupes à risques, les milieux défavorisés dans lesquels le handicap socioculturel est aggravé par une méconnaissance des problèmes de santé, entraînant retard diagnostic et échec scolaire Une étroite collaboration avec l'équipe enseignante, une parfaite connaissance du terrain sont indispensable.
Il est indispensable d'accepter que la médecine actuelle est aveugle. L'absence quasi totale d'évaluation de l'intérêt réel des procédures qu'elle utilise se fait lentement jour. Le roi est nu. Après la grande phase d'expansion technologique des années 50 à 80 vient l'indispensable réflexion . Le temps de la médecine réellement scientifique arrive, fondé sur la mise à l'épreuve des théories et des pratiques qui en découlent. Le temps médical qu'il va être nécessaire de consacrer à la recherche épidémiologique, c'est à dire à l'identification des problèmes de santé et à l'évaluation de leurs solutions, va croître considérablement.
Le principal problème de notre système de santé est l'absence de cohérence d'ensemble. Il s'ensuit un galimatias invraisemblable et coûteux, où des gaspillages étonnants voisinent avec des carences insupportables.
La seule possibilité pour régler définitivement le problème du financement de la santé est donc d'instaurer des mécanismes de régulation. Jouer avec la démocratie médicale ne fait que retarder des décisions incommodes, avec les risques que l'on a vu.
Il s'agira d'identifier et d'évaluer des objectifs, puis, collectivement, de faire des choix (par exemple : combien dépenser pour la santé, comment répartir ces ressources entre système libéral et public, comment répartir la charge financière (collectif ou personnel) et de svoir qui gère, qui décide et organise.